Mnémos lance son 1er livre numérique, Frédéric Weil nous dit tout !

Lundi 19 mars 2012, Salon du Livre de Paris, j’ai rendez-vous avec Frédéric Weil, Directeur des éditions Mnémos. Le vendredi précédent, il m’avait offert une démonstration(Notre actu du 19 mars) du premier livre numérique qui doit paraître prochainement. J’avais été bluffée par la bande annonce, enthousiasmée par la démonstration… Je suis bien décidée à en savoir plus !

Arbre : Bonjour Frédéric, tu m’as fait le cadeau, il y a quelques jours, de me faire une démonstration, en avant première, du tout premier livre numérique proposé par les éditions Mnémos. Il s’agit d’une version enrichie de Kadath, le guide de la cité inconnue dont nous venions à peine de découvrir la bande annonce. Pourquoi avoir choisi Kadath pour cette première expérience de livre numérique ?

Frédéric Weil : Kadath est un livre que nous avons publié il y a un peu plus d’un an, maintenant, et qui s’inscrit dans notre collection Ourobores. Cette collection est dédiée à l’exploration des lieux et des univers imaginaires que nous aimons tout particulièrement, ceux qui ont été inventés avant nous mais aussi ceux que nos auteurs ou nous-même inventons. Il y a deux raisons principales au choix de Kadath, le guide numérique. La première, c’est que le livre se présente comme un livre éclaté, comme un livre encyclopédique, qui offre au lecteur la possibilité d’avoir une lecture transversale des différents morceaux, des fragments qui le compose. C’est un livre non linéaire qui permet au lecteur de  composer sa propre lecture. La seconde raison, c’est parce que c’est Lovecraft. Dès le début, nous y avons vu la possibilité de vendre le titre également sur l’iBookstore américain. Avec H.P. Lovecraft, nous nous appuyons sur une culture populaire américaine très prégnante, très présente.

A. : En publiant ce premier livre numérique, à la fois en version française et américaine, est-ce le choix de la sécurité pour les éditions Mnémos ou bien est-ce une volonté de renforcer une relation de proximité qui existe déjà entre certains auteurs et les États-Unis ?

F.W. : Je dirais que cela participe à faire en sorte que ce projet soit rentable d’un point de vue purement économique. Mais c’est aussi parce que nous avons envie de proposer le travail de nos auteurs aux États-Unis. Il est relativement compliqué pour un auteur français de l’imaginaire d’être entendu aux États-Unis. Avec Kadath, le guide numérique, nous avons bon espoir que le travail de nos auteurs et de notre illustrateur, Nicolas Fructus, puisse être plus facilement vu, lu et entendu aux États-Unis. Notre principale littérature est une littérature de pop culture, et la pop-culture est née aux États-Unis. Cela me chagrine toujours de voir que la France reconnaît peu la pop-culture. Aux États-Unis, de grands talents se sont construits dans la pop culture et nous participons de cette culture là. Elle est américaine, mais elle est aussi japonaise, russe, thaïlandaise, elle est internationale. La pop culture, aujourd’hui, est une culture mondiale. Il n’y a donc pas de raison pour que les auteurs français, qui œuvrent dans la pop culture, ne connaissent pas le succès et une reconnaissance à l’international.

A. : Ce qui est particulièrement frappant lorsqu’on découvre Kadath, le guide numérique, c’est la richesse qu’apporte le support technique. Plus qu’un simple livre, on dirait presque une visite virtuelle de la ville mythique des Contrées du Rêve

Kadath, le guide de la cité inconnue – Ed. Mnémos

F.W. : C’est une visite virtuelle, mais c’est aussi une proposition qui est faite au lecteur de s’emparer du texte, pour que le lecteur puisse agir sur le récit. Par exemple, au démarrage du livre, on peut choisir parmi les 4 narrateurs et revenir en arrière. Le lecteur peut modifier le parcours narratif du personnage et lire les différentes parties dans l’ordre qu’il souhaite. Vous pouvez ainsi utiliser le livre comme un guide et vous perdre dans la ville, comme le font souvent les personnages de Lovecraft. Nous avons essayé de penser cette visite en adéquation avec l’ambiance des nouvelles de H. P. Lovecraft. Dans Lovecraft, les personnages sont souvent perdus, ils sont paumés, ne savent pas où aller, ils reviennent… Lorsqu’on regarde la quête de Randolph Carter, par exemple, on voit bien qu’il est bloqué, il a du mal à avancer, il revient… c’est ce que l’on a essayé de faire. Cela nous a semblé intéressant, de faire ressentir au lecteur ce type d’émotion, de lui proposer une lecture moins statique, plus immersible.

A. : Kadath, le guide de la cité inconnue, dans sa version imprimée est issu de la collaboration de quatre auteurs et d’un illustrateur. Quel a été le rôle, l’implication de l’équipe de départ dans le projet ?

Illustration N. Fructus

F.W. : Ils avaient fait un tel travail sur la version imprimée de Kadath que le redesign du projet a été essentiellement concentré autour de l’équipe technique de Walrus(1), autour du chef de projet. On a juste eu à prendre les textes de David Camus, Mélanie Fazi, Raphaël Granier de Cassagnac et Laurent Poujois, les images de Nicolas Fructus et la construction telle que Raphaël l’avait mise en place. Il n’y avait plus qu’à articuler ça avec les systèmes informatiques et technologiques que l’on utilise pour les iPad. Mais nous avons souhaité pousser jusqu’au bout les capacités techniques de l’iPad. Nous avons fait de la recherche et du développement avec ce projet. Nous voulions tester les possibilités techniques de la machine et anticiper les usages de demain, ce qui n’a pas été sans problème. Nous avions commencé à développer une première maquette que nous avons été obligés quasiment de mettre à la poubelle, car Apple a changé les spécifications techniques des ePub. Il a fallu que l’on reprenne entièrement le projet, au bout de 3 mois de développement, par exemple. On est soumis au dictat technique d’Apple et c’est assez compliqué.

A. : Alors que les ventes de livres numériques restent, pour le moment encore, timides en France; le pari semble plutôt osé. Pourquoi les éditions Mnémos font-elles aujourd’hui ce choix ?

F.W. : Parce que la mutation est en cours, parce que le marché se structure et parce qu’on avait envie – aussi – d’expérimenter. Nous ne savons pas encore quels sont les usages de la lecture numérique. Nous savons qu’il y a ‘X centaines de milliers’ d’iPad vendus en France, des millions dans le monde ; nous avons des datas, des connaissances sur le marché, mais nous n’avons pas vraiment de connaissances sur la manière dont les gens lisent sur iPad ou avec ce que l’on appelle des liseuses – je n’aime pas trop le mot – des readers, pour faire franglais. Ça nous intéresse de leur proposer une lecture que l’on espère proche de la manière dont ils utilisent leurs tablettes. C’est pour cette raison qu’on a construit ce projet. Dans toute expérimentation, il y a une part de risque. Peut être qu’on ne trouvera pas notre public, peut être aussi que la proposition de lecture et d’expérience en immersion dans nos textes et nos images, ne conviendra pas, on verra. Mais ce choix, c’est aussi une rencontre. Une rencontre avec le studio Walrus, qui a modélisé et développé une partie de la technologie que nous mettons en place avec ce livre numérique. Ce travail avec leurs équipes nous a donné l’envie de fabriquer ce Kadath numérique.

A. : Cela signifie-t-il, à terme, un abandon du format traditionnel du livre imprimé ?

Illustration de N. Fructus

F.W. : Absolument pas ! Nous sommes éditeurs de livres papiers et nous devenons éditeur de livres numériques. Notre métier, bien sûr, est de trouver des auteurs, des textes et de fabriquer des livres imprimés. En revanche, le livre imprimé, s’il reste tel qu’il est, ne survivra pas longtemps. Il faut que le livre imprimé connaisse, lui aussi, une adaptation ; une mutation vers un environnement numérique. Pour cela nous travaillons à des livres que l’on appelle ‘connectés’. Lorsque quelqu’un entre dans une librairie, il ne doit pas être coupé de son environnement numérique, il n’y a pas de raison. Nous avons donc placé des tags, des QR-Code(2) au dos des 4èmes de couvertures. Ils permettent au lecteur, qui peut flasher ces codes, d’avoir une 4ème de couverture enrichie, augmentée. Il pourra ainsi lire les critiques que font les sites, les blogs, les avis des libraires, les articles de journaux qui parlent du livre et les points de vue des autres lecteurs.

A. : Une première expérience est en cours avec Thongor de Lin Carter. Il y a déjà eu quelques diffusions, quelles sont les premières retombées ?

F.W. : Thongor n’est pas encore en librairie(3), on va voir comment les gens vont réagir à tout ça. Il y a eu un peu de diffusion et pour le moment, sur ce projet on a eu de très bons retours. Autre connexion du livre physique, nous allons offrir la possibilité, pour les auteurs qui le souhaitent, de proposer aux lecteurs de télécharger gratuitement la version pdf, du livre imprimé qu’ils achètent chez le libraire. Pour nous, il est très important que le lecteur puisse, dans sa vie nomade et en utilisant les technologies numériques, se déplacer avec le livre qu’il a acheté. Avec cette mutation, je pense que les livres imprimés pourraient évoluer vers une sorte de bibliophilie, c’est à dire vers l’amélioration de la qualité intrinsèque du livre : le papier, la couverture, l’impression couleur des choses de ce type là. C’est pour cela aussi que nous travaillons sur des grands formats, tels que Kadath ou Abyme ou encore le Jules Verne qui sortira prochainement.

A. : Une dernière question, à quand la sortie officielle de Kadath, le guide numérique ?

F.W. : En avant première, je peux le dire, nous sortirons fin mai la version française, si tout va bien. La version américaine viendra un mois après. Au moment où nous sortirons Kadath, nous mettrons en ligne également, une trentaine de titres numériques et nous continuerons tout au long de l’année à enrichir notre catalogue.

De retour sur les branches de l’Arbre, je me surprends à rêver.  Les images de la cité inconnue, défilent inlassablement dans ma tête… Je suis comme happée par cette bande annonce que je visionne encore et encore, ma vue se brouille et je me perd dans la ville mythique. Je plonge encore une fois dans les Contrées du Rêve.

Pour découvrir plus d’info sur le numérique chez Mnémos rendez-vous sur http://www.mnemos.com

NDLR :
(1) Walrus est un studio de création et d’édition de livres numériques. http://www.walrus-books.com
(2) QR-Code pour Quick-Response Code. Ce type de code barre à 2 dimensions peut être facilement lu par un téléphone portable par exemple, afin d’accéder directement à une page web donnée.
(3) Thongor de Lin Carter paraît aux éditions Mnémos le 23 mars 2012.

One Response to Mnémos lance son 1er livre numérique, Frédéric Weil nous dit tout !

  1. Lien vers cet article : L'intégrale Lovecraft des éditions Mnémos : 10 ans de recherche et de travail ! - L'Arbre aux 100.000 Rêves

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